26 février 2006

Diversité et Unicité de l'Homme


Pieta des Villeneuve-lès-Avignon, Enguerrand Quarton, 1450.


Si l'immunologie a apporté une révolution, c'est bien dans le concept de la diversité biologique. Certes, on connaissait un certain nombre de groupes sanguins, mais leur polymorphisme était modeste. Le système ABO de Landsteiner s'était progressivement complété de quelques variantes ou allèles. Mais on était bien loin de pouvoir soupçonner l'existence d'un polymorphisme aussi exubérant, aussi bien au niveau des immunoglobulines qu'à celui des antigènes dits d'histocompatibilité.

Il est, d'ailleurs, intéressant de constater que ces deux systèmes multigéniques et polyalléliques sont justement ceux qui concourent à la défense de l'organisme. Ce polymorphisme est indispensable à deux niveaux :
Celui de l'espèce : pour qu'elle survive, il est nécessaire qu'il existe parmi ses membres des différences individuelles. En cas d'épidémie, certains seront éliminés, d'autres survivront et permettront ainsi la perpétuation de l'espèce ;
Celui de l'individu : les molécules du « soi », signant la spécificité de chaque individu, interdisent certains phénomènes comme, par exemple, le parasitisme ou les greffes de tumeurs entre deux membres d'une même espèce.

Nos cellules, dans leur immense majorité, sont ainsi pourvues à leur surface d'une série de molécules très polymorphes, donc différentes d'un individu à l'autre. Ces molécules sont codées par au moins quatre loci présents sur le chromosome 6. Ce sont les gènes HLA-A, B, C et DR. Chacun de ces quatre gènes peut présenter de 10 à 60 variantes. Chaque homme a reçu une combinaison A, B, C, DR, l'une de son père et l'autre de sa mère. La combinatoire des différentes possibilités entraîne un nombre d'arrangements qui se compte par millions. Nous commençons à savoir que chacune de ces molécules présente encore bien d'autres variantes décelées par d'autres méthodes que la simple sérologie. Enfin, de nouveaux loci sont en voie de description, ce qui amène à penser que le nombre des combinaisons est pratiquement illimité. S'y ajoute encore le polymorphisme extrême de certains composants du complément comme le C4 dont les gènes sont voisins de ceux du système HLA.

Ainsi, déjà au niveau du complexe majeur d'histocompatibilité, millième partie de notre génome, on peut dire que chaque homme est unique (en dehors, bien sûr, des vrais jumeaux). Ce qui, à mon sens, est peut-être encore le plus étonnant n'est pas tant la diversité entre individus d'une même espèce mais l'unicité de l'espèce malgré cette diversité.

L'aventure de la découverte du système HLA est une des plus exaltantes de la biologie moderne, en ce sens qu'elle a permis l'ouverture, l'un après l'autre, de nouveaux et fascinants domaines de recherche suivis très rapidement d'applications.

En 1952 débute l'observation d'une forte agglutination de leucocytes lors du mélange du sérum d'un individu avec les leucocytes d'un autre individu. Ce phénomène était dû sans doute à la présence, à la surface des leucocytes, de structures définissant de nouveaux groupes sanguins. Il nous a paru logique que ces structures puissent jouer un rôle dans les transplantations. Fallait-il encore en apporter la preuve. C'est ici qu'un groupe d'admirables volontaires a joué un rôle capital, puisque nous avons pu procéder sur eux à des greffes de peau et vérifier qu'effectivement la survie d'une greffe est d'autant plus longue que la compatibilité des structures leucocytaires des individus était plus élevée.

Une nouvelle preuve de la justesse de cette hypothèse a été apportée par l'étude de la survie des greffes de reins. La compatibilité HLA entre donneur et receveur constitue l'élément-clé du devenir à court et long terme du greffon.

Depuis, ces travaux ont été appliqués à la transplantation d'autres organes : le coeur, le foie, le pancréas. La greffe de moelle donne d'excellents résultats dans le cas d'aplasie médullaire et dans certaines formes de leucémies. Mais la greffe de moelle n'est possible que si le malade a un frère ou une sœur HLA identique. Nous espérons un jour surmonter cette barrière de compatibilité stricte et accroître alors considérablement le nombre de personnes pouvant bénéficier d'une greffe de moelle osseuse.

La nécessité de comprendre les crises de rejet et les rejets définitifs a incité un nombre considérable de recherches dans le monde entier. Elles sont encore en cours mais ont déjà apporté une moisson d'une richesse extraordinaire.

La réaction allogénique qui conduit au rejet de la greffe commence à être mieux connue, avec son versant d'immunité et de défense et son versant de tolérance. Le rejet apparaît comme un déséquilibre en faveur du premier versant. Une mécanique extraordinairement subtile qui fait osciller, au travers des messages portés par les lymphokines, notre organisme entre rejet et tolérance - états caractérisés, pour le premier, par la production des anticorps et des cellules cytotoxiques et, pour le second, par l'élaboration de facteurs et de cellules exerçant une action suppressive.

Après la découverte de la reine de ces associations, la spondylarthrite ankylosante et HLA-B27, un nombre considérable d'autres affections (à l'heure actuelle une cinquantaine) a été répertorié, cette association apportant parfois aux praticiens une aide diagnostique, voire pronostique. Mais, le mécanisme intime de ces associations nous échappe encore car, paradoxalement, elles ne sont pas observées avec les classiques maladies infectieuses mais plutôt avec des maladies de système, d'étiologie inconnue, et souvent suspectées d'origine virale mal définie. Beaucoup, sinon toutes les maladies auto-immunes, sont concernées.